viernes, 13 de mayo de 2011

La Tête de Cristal de Pierre-Guilhem Lapèze........... (Les plaisirs de la vie sans La Dame Blanche)




Extrait : « Les plaisirs de la vie sans la Dame Blanche »
(En deux parties)
   
Avant de sortir de prison j’avais longuement réfléchi à ce que j’allais faire compte tenu de ce que je savais faire suffisamment bien pour qu’on me paye pour le faire et la liste était brève.
         J’étais capable d’exercer correctement la profession d’antiquaire, de faire des sacs et des jeans en cuir genre "Lévis", et j’avais de solides bases en démolition et récupération, acquises avec mon copain Eric. Il était récupérateur de matériaux anciens, c’est-à-dire des cheminées anciennes, des boiseries, des carreaux en terre cuite anciens, des portes en noyer, des vases en pierre, des poutres, enfin tout ce qu’il fallait pour construire et décorer des maisons neuves avec des matériaux anciens.
         Après un séjour en prison qui s’était passé aussi bien que faire se peut, Françoise, une amie d’enfance avec qui j’avais renoué grâce aux P. et T., était venue me chercher à sept heures du matin à Périgueux, ville perdue aux fins fonds de nos belles campagnes.
         Elle m’avait emmené direct prendre un vrai petit-déjeuner dans un bar ; la pauvre avait conduit toute la nuit pour être à l’heure, puis après avoir passé un moment à rigoler, elle se leva et demanda quelque chose à la tenancière et revint s'asseoir.
         La grosse dame légèrement couperosée  jette une clef sur la table, et dit «la treize pour ces Messieurs- Dames. »
         Elle prit la clef et me dit :
         « Tu viens? » 
         Nous montons l’escalier et ouvrons la porte, là devant nos yeux une piaule bien propre dans le style rustique : un immense lit avec un édredon dans les rouges. Elle m’embrasse et chuchote :
         « Je vais prendre une douche ».
         Moi je m’allonge sur le lit en rêvassant :
         « Toi, mon petit, tu es vraiment chounard, une belle blonde, une piaule tellement courge qu’elle en devient marante, alors qu’il y a deux heures j’étais dans une cellule qui puait le tabac froid, ça pourrait être pire. »
          Elle sort et me dit :
         « Va-y tu dois puer la taule, je t’attends, prends ton temps et jette tes fringues, j'irai t'en acheter d'autres. »
         Je me déshabille, reste un moment à regarder les robinets mitigeurs, comme fasciné par tout ce luxe enfin par rapport de là d'où je viens et je me jette sous la douche en mettant la pression au maximum. Je me frotte comme un fou avec ses produits qui sentent bon la bourgeoise BCBG. 
         Je me lave les cheveux avec son shampoing et après je me fous de son démêlant, je me rince de partout, je m’essuie avec des serviettes que je laisse par terre et j’enfile un peignoir. Elle est déjà dans le lit et me dit juste « viens ».
         Je me jette sur elle comme un chien, pas romantique pour deux sous mais j’ai l’impression que c’est ce qu’elle attend ; quand je m’enfonce en elle, c’est trempé, quelle douceur, je lui fais tout ce que peut faire un homme chaste depuis plus de deux ans à une femme douce et parfumée.
         Dire que je lui dois tout à cette petite, c’est elle qui m’a rhabillé de pied en cap à ma sortie, elle aussi qui a loué un joli petit mas à St-Rémy-de- Provence et m’a avancé l’argent pour acheter un semi-remorque de carrelage ancien à Lyon, à B…ou, un des plus gros démolisseurs de la région lyonnaise.
         Je l'avais envoyée avec tailleur Channel et foulard assorti pour qu'il pense à autre chose quand il lui ferait son prix pour les dix mille carreaux des greniers du couvent des  Petites Sœurs des Pauvres, tout poussiéreux, et pas enduits de cette gomme rouge si difficile à enlever, une vraie merde.
          Et à sept heures et quart, elle revint avec un carré en terre  cuite de 16 x 16 à la main, en me disant :
         «  Il y en a dix mille... d’après lui c’est du top et je l’ai tellement bien embrouillé qu’il les laisse à 1 F 90 la pièce,  prends-les je suis sûre que c’est bon... ce con m’a presque violée dans son bureau ».
         Je calcule, ça fait soixante douze francs le mètre carré alors que ça se vend entre deux cent trente francs et deux cent soixante dix francs le m² :
         « Je prends mais tu sais que je n’ai pas de quoi payer... ».
          Elle me répond :
         «  T’occupe pas, toi tu les vends et ça ira bien. Tu aides aussi pour le chargement et le déchargement ; en plus toi qui touches ta bille en chimie trouve donc un moyen pour enlever l’enduit rouge qu’il y a sur certains car il m’a dit que certains lots, voire la plupart, sont composés pour moitié de carreaux peints ».
         Avec un couteau j’en gratte une parcelle que je mets dans une enveloppe, j’écris sur une feuille blanche le problème devant lequel je me trouve, à savoir que je dois dissoudre intégralement cette matière qui recouvre des dizaines de milliers de carreaux en terre cuite et ce, rapidement et totalement, puis je l’envoie à la maison "Mouxe" (produits chimiques en tous genres) à Marseille en leur demandant de mettre un chimiste sur le coup car je peux, s’ils y parviennent, devenir un de leur gros clients, ce qui les intéresse toujours.

Suite
        
         Revenons à mon histoire de sortie de prison avec Françoise ; après avoir fait l’amour comme des bêtes, il n’y a pas d’autres mots, elle me dit viens, on va au bord de la mer à Arcachon, je lui dis qu’en cette saison il n’y a pas grand-chose d’ouvert. « On verra bien » me répond-elle et nous prenons la route.
         Elle me dit avoir envie de manger des fruits de mer, je mets ma main entre ses jambes, elles sont chaudes et douces comme un duvet en plumes d’oie, je lui dis : 
         « Moi c’est toi que j’ai envie de manger ».
         Sans dire un mot elle se gare et baisse le siège du conducteur. Qui a dit que baiser dans une voiture était inconfortable et désagréable, c’est pas une question de confort mais d’envie, que ceux qui ne me comprennent pas s’abonnent à « Paris Match ».
    Nous arrivons à Arcachon, le temps est maussade, il bruine ; elle se gare, nous descendons de voiture, elle me prend la main et nous allons nous promener sur la plage, j’enlève mes pompes, elle aussi et nous marchons tranquillement sur la grève où déferle de longues vagues. Dans le lointain la dune du Pilât s’élève dans le ciel comme un gigantesque phallus ; de rares bateaux de pêcheurs passent de temps en temps et traversent le bassin.
   Elle pose sa tête sur mon épaule tout en faisant des dessins dans le sable avec un bout de bois qu’elle a ramassé en marchant, en se blottissant contre moi elle me dit :
         « T’es pas mieux là qu’où tu étais ce matin ? Tu sais, c’est pour ça que j’ai fait toute cette route, pour que tu aies une belle sortie de prison et que nous passions un moment juste tous les deux. J’ai suffisamment vécu pour savoir que ces moments-là sont rares précieux et ne durent pas éternellement et avec toi, qu’est-ce que je me sens bien. J'ai envie de passer deux ou trois jours ici, j’ai plus d’un million et demi de découvert à ma banque c’est pas deux ou trois jours dans un bon hôtel qui vont changer ma situation malheureusement ».
         Nous nous mettons en route en sens inverse jusqu’à ce que nous trouvions un bar de pêcheurs ; en février il n’y a pas beaucoup d’estivants. Nous entrons et une forte odeur de cirés mouillés, de tabac et de sueur nous prend à la gorge, c’est curieux mais pas désagréable.
         Une serveuse s’approche :
         « Et pour ces Messieurs- Dames qu’est-ce que se sera ? »
          « Avez-vous des huîtres? » demande Françoise.
         L’autre dit :
         « Oui,  même des plateaux de  fruits de  mer avec en prime une bouteille de muscadet».
         On s’allume chacun une clope et pour attendre, on commence à attaquer la bouteille de muscadet et quand les deux plateaux arrivent, elle a vraiment du plomb dans l’aile. Du coup on en demande une autre.
         Je reste un moment à admirer les huîtres, les palourdes, les moules et le reste, je suis fasciné, elles sont posées sur de la glace pilée, bien rangées sur un lit de varech ; ça me fait carrément planer, on dirait une nature morte qui attend juste de régaler les papilles.
         Il y a du pain de seigle, du beurre, du citron et tout ce qu’il faut, je ne vais même pas comparer avec ce que je mangeais la veille encore, ce serait ridicule.
         J’en enfourne une avec du pain beurré, c’est une vraie merveille pour mon palais qui est mort à toute sensation depuis deux ans, et une autre... Je  m’approche d’elle et lui demande :
         « Tu veux une pelle à l'huître ? »
          Elle me fait oui des yeux et je lui roule une pelle à l'huître, c’est délicieux. Tout le monde nous regarde étonnés et on se marre comme jamais.
         « Ouais!  C’est sûr, j’adore les huîtres et tout ce qui vient de la mer ».
         En général et en particulier d’ailleurs.
         On se descend la deuxième bouteille de muscadet, on en demande une troisième, les huîtres c’est salé et ça donne soif ; tant que nous y sommes, un autre plateau s’il-vous-plaît.
         Françoise demande si malgré la saison, il n’y aurait pas un hôtel ouvert. La bonne femme réfléchit et lui répond :
         « A part l'hôtel Royal qui ne ferme jamais il n’y a rien mais je vous préviens, c’est pas donné... ».
         «  Comme quoi ? » demande Françoise.
         « Quelque chose comme cinq cents francs par jour ».
         En effet pour l’époque c’était plus que cher... Elle demande où est-ce ; en effet c’est pas bien loin, elle demande l’addition et deux cafés et lui donne sa carte visa.
         Je n'ose même pas imaginer ce qu’elle vient de larguer comme argent juste pour deux heures de rigolade, et aussi à la note de l’hôtel à venir ... C’est-à-dire que je n’ai pas l’habitude, d’ordinaire c’est moi qui paye, mais là c’est carrément impossible.
         Nous sortons complètement bourrés et montons en voiture. Je lui demande si elle préfère que je conduise, ce à quoi elle répond « Pourquoi pas ? ».
         Je démarre, roule quelques centaines de mètres, et tout doucement je me gare devant l’hôtel. Nous descendons et entrons dans ledit hôtel qui a l’air plus que luxueux. Françoise se dirige vers la réception :
          « Je suppose que vous avez des chambres, nous en voudrions une avec vue sur la mer, un grand lit et une salle de bain pour deux ou trois jours ».
         Pas gênée elle discute le prix et obtient vingt pour cent de rabais.
         Ça m’étonne, et elle me dit :
         « Il n’y a personne, je vais pas me gêner ».
         Un garçon lui demande les clefs de la voiture pour monter les bagages et un autre nous emmène voir la chambre. C’est carrément somptueux, du lit on voit toute la baie d’Arcachon et même la dune du Pilât.
         Je m’allonge sur le lit qui est super confortable par rapport au précédent, empoigne un oreiller et je m’endors d’un coup comme un bébé. Il me semble rêver que l’on me déshabille et doucement je me réveille : Françoise est en train de faire une grande ballade à cheval qui de la manière dont elle gémit,  n’est pas loin de toucher à son terme, je mets mes mains sur ses hanches et m’enfonce en elle le plus profondément que je  peux et elle part dans un orgasme sans fin.
         Je lui caresse les cheveux doucement, approche mes lèvres de son oreille et lui chuchote à l’oreille :
         « Petite coquine, je vous inculpe de viol sur majeur consentent  et ravi ».
         Je suis vraiment trop fatigué, pourquoi ? C’est vraiment sans intérêt, mais j’ai mal à toutes les articulations. Je vous retrouve demain c’est promis,  là je vais dormir.
         Elle me dit : 
         « Elle est vraiment bien cette chambre, si tu veux on reste deux jours au pieu et on se fait monter des huîtres quand on a faim».
          Je lui réponds :
         «  Excellent programme,  je suis d’accord à cent pour  cent ».
         Vu que mon propos n’est pas d’écrire un bouquin porno, il y en a qui font ça très bien, je dirai que nous avons passé deux jours à faire l’amour, avalé un nombre incalculable de mollusques et bu une montagne de bouteilles de muscadet. De temps en temps nous sortions nous balader sur la plage. J’avais pris un couteau et du citron et nous improvisions des dégustations de coquillages, ramassés et aussitôt avalés... Qui peut rêver plus frais ?
         Elle me prit la main, posa sa tête sur mon épaule et me dit timidement à l’oreille :
         « Je suis vraiment bien avec toi j’aimerais que ça dure toujours ».
         Ce à quoi je répondis :  
         « Apprécions ce qui est, on verra bien pour ce qui sera, moi aussi je suis bien avec toi ».
          Le lendemain nous faisons nos sacs, prenons un petit-déjeuner pantagruélique et nous mettons en route pour Grenoble, ville où vit ma famille et où elle possède une entreprise de transport et de déménagements dont elle est en train de déposer le bilan. Son mari Patrice, un bon copain de bringue, est à l’hôpital. Elle me fait promettre de passer le voir dès que nous serons rentrés... Je lui demande :
         « Tu crois qu’il peut se douter de quelque chose ? »
         Elle me répond :
         « Bien sûr que non, vu qu’avant de venir te chercher il n’y avait rien entre nous, à part quelques flirts de gamins, d’ailleurs je ne lui ai pas caché que je venais te chercher à ta sortie et il a trouvé ça très bien ».
         Sur la route du retour, nous nous arrêterons à St -Rémy-de-Provence :
         «  Je veux te montrer le mas que j’ai loué à l’année, c’est super il y a un grand platane juste devant la porte et une fontaine qui coule en permanence ».
         Je lui dis que je suis un peu gêné par rapport à Patrice et que ce n’est pas mon genre de taxer la femme de mes copains, même si ce n’est pas le terme approprié.
         « Ne t’inquiète pas, ça fait bien longtemps qu’entre nous ça ne va plus du tout et que nous ne restons ensemble que pour les gamins et pour nos familles respectives ».
          Elle se gare, me roule une grosse pelle et me demande de conduire. Fatiguée, elle passe derrière, s’allonge comme un chat et se met à dormir avec un sac comme oreiller.
         Je  prends le  volant  et  me mets  à  conduire doucement d’abord et ensuite  normalement, c’est comme le vélo ça s’oublie pas. Au premier poids lourd qui me croise j’ai un peu le trac et après ça va tout seul. En roulant je regarde un guide Michelin et je me demande si je vais passer par en haut, par en bas, ou par le milieu, puis je me souviens qu’elle m’a dit vouloir s’arrêter à St-Rémy-de-Provence donc je passe par le bas. C’est plus long, mais à partir de Toulouse il y a des autoroutes. Much faster. [1]
         Je ne lâche pas le volant jusqu’à Toulouse, ma petite blonde dort toujours sur le siège arrière, faut dire qu’avec ce qu’elle a fait depuis trois ou quatre jours il y a de quoi. Je me gare devant un routier avec en tête l’idée de boire un café bien costaud ; je me dis que si j’avais un ou deux cachetons d’amphétamine ou un sniff de coke ce serait plus efficace pour conduire puis comme un goéland l’idée s’envole.
         Je commande un double café avec une goutte de cognac, un carajillo quoi, j’aime bien appeler les choses par leur nom quand elles en ont un, même si ce n’est pas dans la langue que je pratique à nouveau depuis quelques années.
         Le bar émet une sorte de bourdonnement typique de la France et qu’à vrai dire je n’aime qu’à moitié ; je lui préfère, ô combien, le bruit des fondas espagnoles, tellement plus vivant. Ici les gens vont boire de l’alcool comme ils vont à la messe, en silence.
         Je me mets à penser à la multitude de choses qui m’ont amené jusqu’ici et soudain je vois Françoise  entrer dans le bar en me cherchant du regard. Je lui fais un signe et elle vient s'asseoir à ma table.
         « Où sommes-nous? J’ai l’impression d’avoir dormi un an, merci de m’avoir recouverte d’une couverture, il faisait froid dans la voiture ; tu es vraiment gentil. Qu’est-ce que je vais boire, moi ?
          Elle trempe ses lèvres dans ma tasse et demande la même chose.
         Nous sommes à Toulouse, la ville rose. Je suis passé par là because,  après Perpignan il y a l’autoroute et c’est vraiment mieux que de traverser le Massif Central et le plateau avec toutes les vaches, que je déteste.
         Elle me dit :
         « Tu as bien fait ; à l’aller, je suis passée par le centre c’est vraiment une horreur, c’est quoi ici ? »
       « Un bar routier, excuse- moi je connais pas bien le quartier et je n’ai pas vraiment envie de le connaître. Qu’est-ce qu’on était bien à Arcachon je m’en souviendrais toute ma vie, les huîtres étaient délicieuses et toi aussi ».



[1]  « Bien plus rapide ».

lunes, 9 de mayo de 2011

"La Tête de Cristal" de Pierre-Guilhem Lapeze....... (Vol au-dessus d'un nid de coucou)


Extrait : Vol au-dessus d’un nid de coucou        (en trois parties)

Triste monde que le nôtre, mais qu'y faire quand la valeur suprême est devenue l'argent...
         Moi-même je porte à l'annulaire gauche une bague en or représentant un bœuf assis : c'est la divinité de deuxième catégorie qui gardait l'âme des princes d'Angkor. Un paysan l'avait trouvée dans une tombe de princesse royale et me l'a vendue à la moitié du prix de l'or. Je l'ai fait expertiser par un bijoutier qui m'a dit après le test de la pierre que c'était du vingt-quatre carats. Cette divinité s'appelle  Pra-Khéo, c'était deux jumeaux qui aidèrent les Khmers dans leur lutte avec les Thaïs, l'un d’eux fut capturé par les guerriers du Royaume Thaï avec un filet composé de lanières de peau de bœuf. Un shaman célèbre à l'époque avait rêvé que le seul moyen de le vaincre, c’était en l'attrapant dans un filet de cuir tressé. Ils firent perdre tout son pouvoir à Pra-Ko et le ramenèrent dans le filet comme un trophée ; pauvre Pra-Khéo, quelle triste fin.
         Aujourd'hui encore on peut admirer au pied de l'escalier qui mène au palais royal de Bangkok une statue en bronze grandeur nature qui représente Pra-Ko dans le filet qui servit à sa capture ; elle est superbe, pleine de vie et de souffrances, enfin c'est ce que j'ai ressenti.
         Demain, j'emménage dans mon appartement. Je vous avoue que j'ai la trouille pour de vrai comme on disait quand j'étais gosse !!

Le lendemain...

         Ça y est, je suis enfin dans mon HLM de quarante-cinq mètres carrés, on m'a enlevé mon « Goat Neckless » collier de chèvre, je trouve que ça sonne mieux en anglais. Je suis enfin libre d'aller et venir à ma guise, le Juge a quand même fini par admettre que réclamer le paiement de deux loyers à quelqu'un qui peine à en payer un seul était totalement absurde... Mais que de tracas pour déménager, que d'allers et retours, que de lessives pour essayer d'enlever l'odeur du palais du facteur cheval, mais elle est plus virtuelle plus que réelle.

Suite…

         Avec tout ça j'ai perdu le fil de mon histoire... Où en étions-nous ? ah oui !, au bon Docteur Lamant si je ne m'abuse, and then, je lui disais :
         « Faites ce que vous voulez  mais ne m'attachez pas, je ne vais pas me sauver en pyjama  et sans argent, pourtant croyez-moi, ça n'est pas l'envie qui me manque... ».
         Et ce que je redoutais arriva, je  me payais  ma première crise de manque : j'eus droit à la totale, nausées, diarrhée carabinée, presque une dysenterie amibienne, je connais j'en ai chopé une à Kaboul... Ensuite les tremblements, je grelotte de chaud et je transpire de froid, ce pour vous dire que mon corps ne répond plus présent aux stimulis habituels, il mélange le chaud et le froid, me fait vomir alors qu’il n’y a plus rien dans mon estomac ; j'ai l'impression d'être couvert de vermine alors que je suis aussi propre que d'habitude. 
         Tout est mélangé, j'ai un goût atroce dans la bouche comme si j'avais bouffé de la merde au propre, pas au figuré et tutti-quanti, je vis l'horreur, la vraie. Pas celle dont vont parler les junks d'aujourd'hui pour soutirer deux boîtes de Subutex à leur généraliste référent qui, le pauvre, s'exécute en pensant que son patient est au bord d'une crise grave,  et ce  faisant permet audit patient  de se faire délivrer en toute légalité un produit bien plus addictif que le lactose parfumé à la codéïne et au nescafé. Puis il ira le vendre à d'autres plus timides ou fortunés.
         Un jour un de mes amis dont je tairai le nom car il exerce encore  s'est amusé à faire analyser par un laboratoire sérieux un gramme ce qui est vendu comme étant de l'héroïne marron ; le résultat fut affligeant : huit pour cent de chlorhydrate de di-acétyl morphine, c’est-à-dire de l'héroïne, le reste étant de la codéine, de l'éthilmorphine, antitussif présent dans de nombreux médicaments, de la caféine, de la Viscéralgine et même du Subutex,  le comble quand on sait que le produit en question est un agoniste très puissant des opiacés. En français ça veut dire que si vous mélangez du Subutex à un opiacé quelconque, déjà ingéré, vous vous retrouvez  en manque... à ce moment-là vous pouvez toujours aller voir un autre généraliste compréhensif qui vous prescrira de la Méthadone ! J'ai l'air de rigoler mais ce n'est vraiment pas drôle du tout, c'est même n'importe quoi, c'est à pleurer.
         Et dire que ça m'avait été vendu comme étant «de la balle » comme ils disent maintenant. Je n'ose même pas imaginer la qualité de ce qui n’est pas «de la balle » !! Il faut dire quand même que c'était vendu trente euros le gramme, ce qui est ridicule, quand on sait ce qu'il en coûte de fabriquer un gramme d'héroïne de qualité correcte, compte tenu des risques liés à la prohibition. À quand un syndicat des mules sous-payées because les risques, mais moi ce genre de blagues ne me fait pas du tout rigoler...
         Mais où sont les junkies d'antan ? Dans les cimetières mon bon Monsieur... Hé oui !
         Quant au brave docteur Lamant, il rendit son tablier et expliqua à ma mère qu'il fallait me mettre dans un service spécialisé. Celle-ci eut l'excellente idée de téléphoner à mon oncle Jean, le Professeur Braillon... Mais si, vous savez bien, le célèbre pneumologue qui, avant l'invention des antibiotiques par Flemming, avait mis au point la très célèbre opération du décollement de la plèvre chez les tuberculeux et permit ainsi d'en prolonger un bon nombre. Il eut la non moins excellente idée de m'adresser aux bons soins de son ami, le Professeur Deniker, inventeur de l'indémodable Halopéridol ou Nozinan, je ne sais plus...
         Et le lendemain même me voilà parti en ambulance pour Paris, dans le service fermé des H.O.[1]   à Ste Anne. Ah là là, l'idée qu'elle était bonne ! Je vais essayer de vous raconter ça à la rigolade, sinon encore aujourd'hui je me flingue juste de m'en souvenir.
         Vol au-dessus d'un nid de coucou, c'est de la rigolade par rapport à ce que j'ai vu et vécu; c'est vrai, je l'ai vu, de mes yeux vu, la réalité dépasse la fiction et comment!!! 
         Déjà dans l'ambulance le bon Docteur Lamant, accompagné de son infirmière particulière pour qui il était juste en dessous du Pape et encore je ne suis pas sûr qu'elle fût catholique,  en fait pour elle c'était Dieu le Père lui-même...  Tous les quarts d'heure elle me faisait avaler un médicament, j'allais dire un poison différent ; je m'en souviens très bien je bavais et j’étais parti dans un délire incohérent mais persistant,  J'entendais la voix assourdie du Docteur Lamant :
         « Notez, Josette, sur la feuille de route : nous sommes à Tours. Le patient présente un état délirant symptomatique d'un état psychotique latent certainement antérieur ».
         Antérieur, antérieur, moi c'est le postérieur que j'aurais aimé te botter, triste ignorant prétentieux. Il faut dire à sa décharge que Claude Olieventsein n'avait pas encore écrit son ouvrage Il n'y a pas de Drogués heureux  où il disait, je cite de mémoire :
         « Et j'en vins à m'intéresser à ces très étranges malades appelés Toxicomanes qui, en manque ou en surdose de produit, présentaient un moment les signes évidents d'une maladie mentale grave et répertoriée, avec tous les symptômes décrits par la Faculté de Médecine, et quelques heures après avaient un comportement psychiatriquement tout à fait normal, ce que je trouvais incompréhensible... ».
          Je pense que ce grand Monsieur fut un peu à la toxicologie ce que Newton fut à la physique avec sa pomme, quelqu'un qui apporta dans sa démarche quelque chose de vraiment neuf.
         Enfin nous arrivons au terme de notre voyage. Des hommes en blanc viennent me chercher sur ma civière et me disent des trucs dans le genre : 
         « T'inquiète pas, petit, ici tu seras bien soigné ».
         Ma mère qui était du voyage, regarde la scène avec un air que je ne lui connais pas et je me mets à hurler :
         « Maman, ne les laisse pas m'emmener, ils vont me détruire le cerveau, je t'en supplie ramène-moi à la clinique... Ici ils ne savent pas que je ne suis pas un vrai fou, mais un fou par nécessité, tu comprends ce que je te dis, maman ? ».
         Elle réalise soudain l'erreur monumentale qu'elle est en train de commettre et  se tourne vers le Docteur Lamant qui, le salaud, la rassure.
          « Mais non, Noëlle, ne l'écoutez pas, il va vous avoir aux sentiments alors que je viens de m'entretenir avec le chef de service. Il est au courant et a très bien compris le cas de Pierre... Il saura quoi faire, je vous l'assure ».
         Pendant qu'ils m'emmènent je continue à m’égosiller :
         « Maman ne les laisse pas m'emmener !».
         Je sens bien qu'au fond elle a compris que j'avais raison. Elle fond en larmes, accrochée au bras du docteur Lamant qui tente de l’apaiser : 
         « Mais c'est impossible, Noëlle, j'ai signé son bon d'admission. Si vous le ramenez maintenant, je me refuse à m'occuper de lui plus longtemps. Et qu'allez vous faire, le laisser se droguer chez vous ? Enfin soyez raisonnable... ». 
         Ma mère baisse la tête, réalisant tout à fait ce qu'elle vient involontairement de cautionner.
         Les hommes en blanc m'emmènent dans une salle d'attente lépreuse et me font asseoir. Je les supplie :
         « J’ai trop mal, faites-moi un shoot de morphine, par pitié ».
         Ca les fait rigoler et l'un dit à l'autre :
          « Ca c'est sûr, on va le shooter mais pas avec de la morphine. Attends qu'il ait vu le Docteur...  A mon avis, celui-là il est bon pour les électrochocs sous Pentothal, t'as vu comment qu'il est givré, Nom de Dieu !!! ».
               Ils s'en allèrent en rigolant, me laissant tout seul sur ma chaise présentant. Je me sentais comme un gibier traqué attendant la meute et l'hallali avec des clebs pas du tout sympas. Tout d'un coup entra un homme grassouillet à souhait qui avait à s'y tromper la gueule de tonton Sigmund, et il me tendit la main :
          « Bonjour Monsieur, je me présente Docteur Smolt (je me souviens pas de son patronyme, mais celui-là lui va très bien), neuropsychiatre. Je suis votre médecin référent, mon rôle est de vous aider. Ne vous inquiétez pas, vous êtes entre de bonnes mains. Nous allons faire du bon travail ensemble. Votre médecin-psychiatre, le Docteur Lamant, m'a expliqué votre cas. 
         Alors comme ça vous êtes héroïnomane... Vous savez, il n'y a pas à être choqué, ça arrive à des gens très bien. J'ai eu comme patiente Edith Piaf, eh bien ça ne l'empêchait pas de très bien chanter et de gagner beaucoup d'argent... Je me souviens, elle était impossible, toujours à réclamer une injection de morphine, comme si on pouvait soigner quelqu'un avec de la morphine, c'est aberrant...
         Enfin je m'égare... Quel est votre vrai problème, Monsieur...Lapèze ah oui c'est marqué là. Etes-vous d'origine espagnole ? ».
         Voyant ma gueule, il rectifie :
          « Je me trompe peut-être ? ».
          « Certainement ? Monsieur ? Mon nom est d'origine Gasconne et je suis Français depuis cinq ou six siècles... Mais je suis comme la Môme, j'aimerais bien une injection  de morphine, et franchement je me laverais bien les dents avec votre barbichette ! ».
         C’était parti tout seul sans que je me rende compte des conséquences que cela aurait pu avoir.
         Il devient blanc  et appelle un infirmier :
          « Faites donc à ce jeune homme insolent une injection de cent mg de Nozinan ».
         Ils me conduisirent dans une chambre encore plus pourrie que la salle d'attente, une sorte de cloaque avec un lavabo jaune de crasse et de rouille et un lit métallique complètement défoncé, le seul à avoir la chance de l'être dans cet entourage totalement glauque. Je n'en rajoute pas je crois même qu'en réalité c'était encore pire que ce que je vous raconte.
     Quelques heures après  la porte s'ouvrit et quelqu'un posa un plateau de bouffe que je n'aurais pas osé donner à mon chien de peur qu'il me morde et je le laissais tel quel. Quand le lendemain le sosie de Sigmund entra dans ma caverne, décemment on ne peut appeler ça une chambre, il s'exclama :
         « Ah! Monsieur fait la forte tête ! Mais attendez jeune homme, j'en ai maté de plus rebelles, vous allez voir ! Allez, emmenez-moi ça en salle commune, puisque Monsieur n'apprécie pas le privilège d'être en chambre individuelle ».
         Et aussitôt dit aussitôt fait, les deux lascars en blanc me prirent chacun sous un bras et me jetèrent, il n'y a pas d'autre mot, sur une paillasse sordide. Autour de moi une vision de l'enfer de Dante Alliguieri, une abomination, je croyais que ces lieux n'existaient que dans l'imagination d'écrivains délirants ou  persécutés, mais non c'était bien vrai, je pouvais le voir avec mes yeux, l'enfer sur la terre.                                                                                                                          
         À ma droite mon voisin de lit se masturbait frénétiquement et ponctuellement, s'arrêtait pour hurler en tapant des mains : 
         « Les rats, les rats, les  rats ».
         Et  recommençait jusqu'à ce qu'un infirmier  vînt lui faire une injection de Dieu sait quoi, qui le plongeait pour quelques heures dans un état cataleptique, puis il recommençait inlassablement. Cet homme car c'en était un, avait quitté la réalité  et notre monde pour toujours, semblait-il.
         À ma gauche un autre individu regarde le plafond fixement dans un silence effrayant et quand un infirmier tente de le secouer, il articule tout bas :
         « Chut..... Il faut que je donne l'alerte dès qu'ils vont attaquer, sinon... ils vont égorger tout le monde ».
         Une cloche sonna et tous ces êtres se levèrent brusquement pour descendre l'escalier en se bousculant. On se serait cru à la station  Châtelet  aux heures de pointe. C’était hallucinant... Ils pénétrèrent en courant dans un grand réfectoire ; certains se groupèrent par trois ou par cinq, toujours un nombre impair, puis ingurgitèrent la nourriture comme le font les chiens, avec la bouche directement, certains avec les doigts. Ce qu'ils dévoraient avec tant d'ardeur ressemblait plus à de la pâtée qu'à la nourriture que mangent d'habitude les êtres dits  humains.
         Je vis un infirmier qui avait l'air d'être dégoûté par ce spectacle et je l’interrogeai timidement :
         « Mais que font-ils, je ne comprends pas ? ».
         « Tu sais, certains sont là depuis la guerre, même avant. Ils ne sont pas sortis depuis les années trente, c'est leur univers il faut essayer de les comprendre ».
         Il avait un air triste et manifestement n'aimait pas ce qu'il devait faire.  Je me dis « C'est ma chance, je vais lui demander s'il peut faire sortir un mot et l'envoyer à ma Mère ».
         Et, miracle, il consent :
         « Si tu veux mais ne dis rien à personne ; je risque ma place c'est formellement interdit ».
         Sur un coup de sifflet tous abandonnèrent leurs auges et remontèrent dans le plus grand désordre.
         Vient la nuit et la cérémonie des médicaments, dont la base est le Nozinan, l’Halopéridol, l’Haldol et les gouttes rouge vif qui font dormir j'ai oublié le nom ah! Du Théralène... à petite dose c'est bénin mais à haute dose c'est redoutable.
         Ils se battent comme des chiens, protestant qu'ils n'en ont pas eu assez, et les infirmiers rigolards  rajoutent sans aucun contrôle cent gouttes de ci et cent de ça à n'importe qui... Je vous jure que c'est vrai, que c'était en France dans les années soixante, soixante-dix. J’ai vu et subi cet enfer et ça n'est pas fini le pire est à venir...
         J'écris une lettre à ma mère. Je peux à peine écrire, je tremble et ma vision est brouillée. Avec peine je trace  ces quelques mots :
         «  Maman c'est en enfer que tu m'as envoyé, c'est l'horreur. Dis à Michèle de venir me voir, elle te racontera...    ton petit Pierre ».
         Je le plie en quatre et demande une enveloppe à un malade. Il m'en donne une en me demandant si je ne veux pas aller aux cabinets avec lui ; je mets un moment à comprendre ce qu'il veut :                               
         « Non, merci vraiment je n'ai pas la tête à ça et en plus c'est pas mon truc ».
         Il a l'air très déçu. 
         Je mets le mot dans l'enveloppe et l'enveloppe sous mon oreiller. Je passe une nuit épouvantable, transpirant suant comme un porc, effrayé à l’idée qu'un des malades me poignarde dans mon sommeil, alors que je suis toujours en manque et que toutes leurs saloperies n'y font rien. Je souffre le martyre et me sens terriblement seul. J'ai remarqué que dans les grandes souffrances on est toujours seul, même quand on a la chance de ne pas l'être réellement.
         Souffrance et solitude sont deux amies inséparables et rarement séparées, pourquoi je ne sais pas. Demandez à Einstein qui a dit « la seule chose incompréhensible, c'est que l'univers soit compréhensible ». Sans commentaires...

Suite…

Je demande à l’infirmier qui était cet homme. C’était le Professeur  Deniker, célèbre et mondialement connu surtout pour son invention du Nozinan ou de l’Halopéridol, je ne sais plus, molécule-mère de tous les neuroleptiques. Il s’approche de mon lit,  s’arrête et prend un dossier :
      « Mesdemoiselles, Messieurs, regardez bien ce patient, il vient d’une famille illustre, c’est le neveu du Professeur Braillon, le grand pneumologue. C’est un héroïnomane invétéré et tel que vous le voyez il est totalement détruit ; il souffre d’une grave psychose comportementale. Lui qui était un étudiant brillant dispensé du concours d’entrée à Sciences-Po Paris à l’âge de dix-sept ans, est là, à moitié conscient. Regardez-le bien c’est un cas assez rare ».
         Et les internes de me presser de questions, et moi de leur dire :
          « Jetez-moi des cacahuètes ce sera plus clair ».
         Sur ce le grand Professeur conclut :
          « Voyez vous-mêmes, c’est affligeant et dans l’état actuel de nos connaissances il est incurable... Et c’est définitif, j’en ai bien peur... Voilà, Messieurs, les ravages abominables de la drogue, regardez  bien  ».
         Merci Monsieur, vous êtes vraiment rassurant, je ne vous remercierai jamais assez pour les bons soins que vous me prodiguez, merci, merci.
         Je vais chercher en moi mes dernières forces, me concentre un moment et hurle :
         « Non !!! Vous ne m’aurez pas,  je le jure ».
         Un infirmier s’approche de moi :
         « Calme-toi ».
         Je le reconnais, c’est celui qui a fait sortir mon mot pour Michèle. Il me souffle : 
         « T’inquiète  pas, j’ai ordre de te faire une piqûre mais j’ai mis de l’eau distillée dans la seringue, t’auras qu’à faire semblant de dormir pendant une heure ». Vraiment cool le mec.
         Le lendemain le barbichu me convoque pour m’annoncer qu’il a programmé le début de mes séances d’électrochocs, pour le lendemain à deux heures. En essayant de garder mon calme, je lui demande s’il ne pourrait pas, d’une part, me baisser les doses de neuroleptiques et, d’autre part, d’attendre encore une journée pour que je me prépare. Il me répond d’un air patelin :
         « Tant que vous me demanderez les choses de cette manière, il n’y aura aucun problème entre nous, c’est d’accord pour après-demain quatorze heures ».
         C’est bon, le con a marché, j’ai la date et l’heure de ma séance de mort cérébrale programmée. Je le remercie fort poliment et file à la recherche de mon pote l’infirmier.        
         Finalement, je le trouve,  se préparant à partir et je lui saute dessus : 
         « Si tu veux bien m’aider à sauver ma peau, téléphone à ce numéro et dis juste que le désastre est prévu pour après-demain quatorze heures, que mon frère soit là absolument avec les papiers ».
         « O.K., te casse pas la tête, c’est comme si c’était fait » 
         Et il va son chemin.
         Je réalise que je suis embarqué dans une drôle de galère et que ce n’est pas moi qui ai les rames. Si on m’avait dit il y a à peine six mois que tout cela arriverait, j’aurais rigolé comme un fou... Comme quoi rien n’est jamais acquis dans cette putain de vie.

Suite…

Deux jours après, à l'heure dite, on vint me chercher pour la séance d’électrochocs ; je n’avais aucune nouvelle de ma famille. Auparavant on m’avait fait assister à une séance pour me rassurer, m’avait-on dit.  Un infirmier fit une intraveineuse à un malheureux qui se mit à raconter des choses décousues... Puis il se chopa une bonne dose d’électricité; il en avait sursauté pendant que l’autre, le barbichu, lui suggérait des phrases qu’il répétait.
         Vint mon tour et deux infirmiers me saisirent sous les bras pour me fixer les électrodes. Je me croyais foutu quand soudain des cris retentirent. C’était mon frère qui arrivait avec une commission rogatoire du Procureur de la République et une interdiction formelle de ma famille que l’on me fasse subir des électrochocs, Il hurlait comme un veau. Quand il me vit il me demanda s’il n’arrivait pas trop tard :
          « Non, Michel, juste à temps, à une minute près je ne t’aurais même pas reconnu».
         Il me raconta que ça faisait une heure qu’il bataillait pour entrer... Il avait dû ressortir pour faire intervenir le TGI en leur expliquant que nul n’est au-dessus des lois, et en la matière elle est formelle:
         Nul ne peut faire subir ceci à qui que ce soit sans avoir obtenu une autorisation écrite de la famille qui en principe doit être prévenue avant, mais ici ça n’a pas l’air de les gêner vraiment, mais alors vraiment pas.
         Mon frère brandissait son bout de papier comme un trophée, remarquez il y avait de quoi, car obtenir de la justice une commission rogatoire, je ne suis pas sûr du nom, n’est pas chose facile, demandez à qui vous voulez.
         Le barbichu était dans une rage folle. Je fis part à mon frère de mes craintes quant à sa réaction : 
         « Rassure-toi, Papa vient demain et on va te sortir à la douce ».
         Dès qu’il fut parti le barbichu me fit venir dans ce qu’il appelait  « Mon Bureau » :
         « Monsieur Lapèze ne vous réjouissez pas trop vite, j’ai quand même le droit absolu de vous garder jusqu’à la fin de votre vie, même si ça vous paraît inimaginable, ça aussi c’est la loi... Et à partir de maintenant je double vos doses de neuroleptiques, commission rogatoire ou pas ».
         Je ne dis pas un mot mais revenait en moi cette phrase célèbre, d’un auteur latin, je crois : 
         « Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ».
         J’en avais là un exemple parfait.
         Le lendemain, mon Père vint me rendre visite, je lui fis part des menaces du barbichu et il me dit :
         « Ne t’inquiète pas mon petit, tu peux remercier Michèle, sans elle qui nous a éclairés sur la réalité de la situation, tu étais cuit mon grand, j’ai téléphoné à ton oncle pour lui demander ce qu’étaient les électrochocs sous narcose.
         J’ai pris une de mes grandes colères et l’ai sommé de réparer ce dont il était l’instigateur involontaire et il m’a promis d’appeler lui-même le Professeur Deniker et de lui demander en tant que chef de service, de te mettre dans les mains de quelqu’un de bien intentionné qui ne te prendras pas pour un homosexuel... C’est ça qui m’a fait bondir...
         Cet après-midi j’ai rendez-vous chez un psychiatre qui travaille également dans ce service en intermittence car il possède une Clinique à Suresnes, mais elle n’est pas conventionnée Sécu. Tu vas encore me coûter cher mon gars, en attendant tiens-toi tranquille et ne crains rien.





[1]  Hospitalisation d’Office