domingo, 24 de abril de 2011

"La Tête de Cristal" de Pierre-Guilhem Lapeze (De retour à la maison pour Noël)




Extrait: De retour à la maison pour Noël

Finalement j'arrive à prendre le train pour Grenoble. Il est très confortable et écarte ses roues ou les rétrécit, je ne sais plus, c'est une super invention et comme dirait Louis XIV « Il n'y a plus de Pyrénées ».
         J'arrive dans ma famille, les bras croulants de cadeaux, un grand  flacon de Shalimar de Guerlain et un carré Hermès pour ma mère. Pour la forme elle me remercie chaudement, embrasse son petit et  me murmure à l'oreille « D'où sors-tu tout cet argent petit salopard ? ».  A mon Père j'offre une boîte de cigares  « Romeo y Julietta  » et un flacon de  Pour un Homme de Caron, le grand modèle. Il m'embrasse  « Tu es fou,  d’où sors-tu tout cet argent ? ».
         Je lui réponds qu’avec un ami nous sommes allés au Maroc et avons acheté des quantités de chemises blanches brodées et des foulards...  Enfin tout ce qui est à la mode avec le mouvement hippie et on s'est fait plein d'argent en les revendant aux boutiques d'Ibiza et en plus nous avons pu réinvestir.
         « Et maintenant, le cadeau du roi... Papa je sais que tu es un grand admirateur de St-Exupéry, voici le renard du Petit Prince, je ne pouvais pas l'abandonner... ».
         J'ouvre la boîte, la pauvre bête est terrorisée, toute blottie dans son panier. Mon père, dont j'attendais une réaction de colère, a les larmes aux yeux :
         « Mon Dieu, un renard, qu'il est beau, mais que va-t-on en faire ?».
         A cet instant le renard saute de sa boîte, va se réfugier en courant sous la baignoire de la buanderie où quelqu'un avait oublié de refermer la trappe d'accès à la tuyauterie et il n'en bougea plus.
         Mon père, ému, passa une bonne heure à l'appeler et  demanda  comment s'appelait la bestiole.
         « Renard » lui dis-je.
         Voyant que le petit renard était terrorisé il abandonna et annonça :
         «Renard, tu es le bienvenu dans cette maison, j'arriverai peut-être un jour à t'apprivoiser ».
         Il me dit :
  « C'est le plus beau cadeau qu'on m'ait jamais fait. Tu remontes dans mon estime, mon gars, mais comment l'as-tu apprivoisé ? »
         Et moi de lui conter l'histoire de l'échange avec le vieux gitan et de la longue approche mutuelle qui aboutit à lui faire prendre son petit déjeuner avec moi.
         Mon père s’inquiéta :
         « Crois-tu que je puisse y parvenir? ».
         Je répondis, comme l'autre très célèbre :
         « Avec beaucoup de temps et de patience, bien sûr ».
         Il rayonnait :
          « Je vais essayer, c'est trop beau, trop amusant et extraordinaire »
         Mon père était aux anges ; pour vous dire, c'est une des seules fois de ma vie où je l'ai vu avec des sentiments d’homme qui a eu une enfance. J'étais aussi ému que lui, j'avais envie de le prendre dans mes bras et de pleurer de joie d'avoir un vrai père.
         À ma nounou, j'avais rapporté des broderies avec des miroirs et un sac avec des franges qui lui plût beaucoup. Et elle m'embrassait et m'embrassait encore  « Mon petit, mon petit, il est revenu... ».  Et elle se mit à pleurer comme une Madeleine, pendant un bon moment. Petit à petit elle se calma et sécha ses larmes.
         Ma mère ne dit rien pendant le repas mais ses yeux, comme des rayons X, me scrutaient sans pitié aucune. Elle me décortiquait comme un rayon-laser implacable. Je sentais que sans savoir exactement quoi, elle devinait à peu près tout même si avec ma gueule d'ange, je donnais le change autant que faire se peut. Mais c'est qu'elle était raide, ma Mother, question inquisition.
         Et elle m'aimait trop, beaucoup trop :
         Nous avions des rapports qui auraient pu être qualifiés d'incestueux, intellectuellement s'entend évidement, par n'importe quel psychanalyste de deuxième zone.
         C'était une grande dame, qui, un jour de vague à l'âme, m'avait raconté par le menu le rôle très important qu'elle avait joué dans la Résistance pour coordonner l'action des maquis communistes et gaullistes et sans qu'elle prononçât jamais son nom, je compris qu'elle avait collaboré étroitement avec Jean Moulin. Elle avait également joué un rôle majeur dans la sauvegarde des biens juifs, lingots d'or, diamants, francs suisses et un travail immense de recherche des héritiers des descendants des victimes des camps de la mort.
         « Arbeit macht frei », ça elle ne l'avait jamais oublié, elle qui parlait l'allemand comme une Allemande, ayant été élevée à Coblenz et Mayence où son père, mon grand-père, était Colonel dans les troupes françaises d'occupation après la guerre de quatorze. Je pense que des mains complices avaient rayé cela de son cursus officiel, ce qui devait lui permettre de récolter des renseignements précieux, elle qui était avocate et fréquentait le gratin de la Kommandantur.
         Mon père, ignorant tout de ses activités, utilisait ses compétences de chimiste pour fabriquer tabac, savon, et plein d'autres choses qu'il échangeait aux paysans contre de la nourriture pour sa famille. Il se plaisait même à raconter que, après la guerre, ses anciens clients le suppliaient de fabriquer du tabac à partir de la plante qui, comme chacun sait, est un poison si elle n'ait pas traitée convenablement.
         À cet instant, je vis le museau pointu du renardeau qui, remis de ses émotions, venait aux nouvelles. Je me figeais et dis doucement à mon père :
         « Retourne-toi lentement et regarde derrière toi  au pied de la porte».
         Il se tourna doucement et vit Goupil qui le regardait, et cet instant magique dura une éternité, chacun sachant qu'au premier mouvement de l'autre le charme serait rompu. Profitant de ce moment,  je m'approchais de lui à pas de loup en émettant de petits bruits qui lui étaient familiers, et petit à petit en approchant ma main et en lui chantonnant « Viens, mon petit, viens », par miracle il se laissa attraper.
         Je le pris dans mes bras, il tremblait en se serrant contre moi. Je l'entendais me dire tous ses chagrins ; je le caressais avec précaution, il commençait à se calmer. J’appelai mon père :
         « Approche ta main le plus doucement possible et caresse-lui la patte, peut-être qu'il ne dira rien, à moins qu'il ne te morde, mais je ne crois pas  ».
         Mon Père s'exécuta et effleura  la patte du renard qui, miracle, se laissa faire :
         « Gentille petite bête, n'aie pas peur, tu es en sécurité avec moi ».
         Brusquement le petit animal se mit à montrer les dents.
          Je mis mon père en garde :
         « Il vaut mieux en rester là ».
         Mais il insista et se prit un bon coup de dents. Le renard sauta de mes bras et courut jusqu'à sa nouvelle tanière, sous la baignoire de la buanderie. Mon père alla désinfecter la morsure et mit une bande par-dessus, pas mécontent pour deux sous :
          « Tu m'avais prévenu, c'est ma faute, j'espère qu'il reviendra me voir ».
         Son attitude  était tellement inattendue que même ma mère en resta  pantoise ; le renard avait changé cet homme d'habitude impitoyable qui montrait difficilement le moindre sentiment affectueux.        
         Bien, cessons de renarder même si c'est rigolo et émouvant et reprenons le fil de notre histoire : ma mère essayait bien de me tirer les vers du nez, et moi de la rassurer en lui disant qu'il y avait un peu de hasch dans les chemises. Elle me répondit qu'elle espérait que c’était la vérité, car si ce à quoi elle pensait était vrai, elle ne savait pas si elle pourrait me sortir de là, même avec les gens haut placés dans le milieu à qui elle avait évité la guillotine et qui ne pouvaient pas lui refuser grand chose mais dans certains domaines, elle m’assura qu'elle ne pouvait rien, et qu'elle priait pour avoir tort.
         Elle ajouta :
         « Si tu as fait ce que je pense et que tu ne me le dis pas, je ne pourrai rien pour toi. Tu sais, si j'ai tellement peur c'est que Madame «Botella » m'a téléphoné pour m’avertir que tu voulais mettre plusieurs maisons à mon nom et d’ailleurs elle trouvait que tu avais eu du nez d'acheter tout ça avec ton compte en Suisse ».
         Là elle m'en boucha un coin et il fallait que je fasse vite pour lui donner une explication qui tienne debout.
         «Bon, écoute Maman, c'est vrai ce n'est pas un peu de hasch que j'ai fait venir, mais cent kilos que j'ai revendus à des grossistes d'Amsterdam et tout l'argent liquide que j'avais, je l'ai transformé en biens immobiliers. Je n'ai pas fait Sciences-Po et Science Eco pour rien. Tu sais très bien que le problème de l'argent dit sale c'est de le rendre propre ! Et en ce moment l'Espagne est un pays de cocagne pour ça. Maintenant que c'est fait, je vais attendre dix ou quinze ans que les prix montent et je serai riche ».
         Elle se mit en colère :  
         « Ce n'est pas pour faire le voyou que je t'ai poussé dans tes études, ni que j'ai essayé de te donner une bonne éducation et des principes, comme de respecter les lois, entre autre... Tu me déçois beaucoup, à un point que tu ne peux même pas imaginer. Le pire c'est que tu n'as aucune conscience ni du bien ni du mal, pas plus que de ce qui est autorisé et de ce qui est interdit, et de surcroît aucune conscience de l'existence des lois ».
         « Ecoute, Maman, Henry de Monfreid a fait la même chose et son livre  La croisière du Haschich  est même au programme de la classe de première ».
         Je m'approche pour la prendre dans mes bras et l'embrasser, mais elle me repousse et me dit « Laisse-moi » et elle part bouder dans sa chambre, sans se retourner :
         « Tu as eu une excellente idée d'apporter ce renard à ton père, je t'en remercie même si je t'en veux énormément. Je ne l'ai pas vu aussi heureux et joyeux avec des choses toutes simples depuis ta naissance, je crois bien. »  
         Et chacun alla de son côté, ma mère dans sa chambre, ma nounou dans la sienne, et mon père dans ses rêves de renard, de qui apprivoiserait qui et comment et de continuer à regarder ses matchs de rugby où à chaque essai marqué il frottait le tapis avec ses pieds au point de l’user...
         Quant à moi, ayant retrouvé mon petit monde, je suis plutôt content, à cela près que trois ou quatre fois par jour je suis obligé de trouver une excuse pour m'isoler et m'habituer à trimballer avec moi le matériel nécessaire à mes injections quotidiennes et cela très discrètement, sans que nul ne puisse se douter de quoique ce soit.
         À partir de cet instant, le mensonge entra pernicieusement dans ma vie comme une deuxième nature et moi qui ai cela en horreur, je suis obligé de mentir à longueur de journée.
         Je suis devenu un toxico dépendant à l'héroïne et cela sans même m'en apercevoir. Merci, Hakim, de ce beau cadeau, je t'en serai reconnaissant toute ma vie, manière de dire que je l'étranglerais avec joie, ce vieux salopard. On m'a dit souvent :
         « Tu n'avais qu'à refuser ».
         Mais êtes-vous bien conscient de la puissance de la blanche, la princesse... C'est plus fort que tout... Une fois, pour voir, je n'en ai pas pris pendant douze heures ;  je me suis mis à éternuer, à frissonner, à avoir des nausées et j'ai arrêté l'expérience en me faisant un shoot et tout de suite ces affreuses sensations se sont arrêtées d'un coup, comme elles étaient venues. Je suis redevenu normal si je puis dire.

1 comentario: