lunes, 25 de abril de 2011

"La Tête de Cristal" de Pierre-Guilhem Lapeze (La pêche aux dorades sous les pierres plates)



Extrait : La pêche aux dorades sous les pierres plates

         Pour reprendre le cours de mon histoire, Georges et moi allons chercher chacun notre matériel de pêche sous-marine et nous nous rejoignons en haut du sentier qui mène jusqu'au bas de la falaise jusqu’à la petite crique où se trouvent les fameuses pierres plates. Nous enfilons nos tenues, c’est-à-dire combinaison, ceinture de plomb, palmes, masque, tuba, couteau de plongée et fusils sous-marins. Nous plongeons chacun de notre côté.
         Je m'éloigne à une trentaine de mètres du bord et  plonge à une dizaine de mètres. Là je vois une immense pierre plate sous laquelle nagent tranquillement une dizaine de dorades de fort belle taille :   je vise, tire et en transperce deux d'un coup. Fou de joie, je remonte et les accroche à mon attache-poissons, sorte de fil de fer conçu à cet effet. Fou de joie, je replonge et en tire encore une que je place avec les autres, puis je m'éloigne à la recherche d'une autre pierre un peu plus loin.
    Je descends voir ce qu'il y a sous celle-ci et miracle le même spectacle m'attend : il y en a tellement que je tire sans presque viser et en embroche deux autres qui subissent le même sort. Je réfléchis, ça me fait presque cinq kilos de dorades. Georges et moi avons pour habitude de ne jamais tuer plus de poissons que nous ne pouvons en consommer, nous et les quelques personnes à qui nous en donnons quand les dieux de la pêche ont été cléments avec nous, ce qui est le cas aujourd'hui et ce qui est assez rare car parfois nous restons une heure et demie dans l'eau sans rien prendre.
         Je retourne vers le bord où Georges m'attend avec six belles dorades, il me regarde et dit : « Egalité, tu te mets à pêcher aussi bien que moi salopard ! ».
          Nous nous mettons en quête de bois sec pour faire un feu et de thym et de fenouil pour assaisonner nos dorades ; en prévision je me suis muni de quelques citrons. Nous retournons dans l'eau pour vider deux ou trois bestioles et les écailler, ce qui nous prend quelques minutes... Nous les remplissons de fenouil et les enfilons sur deux roseaux puis nous allumons un feu qui met un moment à se transformer en braises ; quand le tas est satisfaisant nous installons les trois poissons pour la cuisson.
          Quand nos poissons sont cuits nous les posons sur deux petites pierres plates (décidément !) où nous les dépiautons avec nos couteaux de pêche... Et là c'est le délice, un poisson qui sort de l'eau est très supérieur en goût, s'il est cuit tout de suite, à tout autre.
         Nous nous régalons et arrivons au bout de nos trois dorades sans difficulté. Avant de repartir nous nettoyons les autres poissons, ce qui nous prend un certain temps vu le nombre impressionnant de bestioles. Il y a au bas mot dix kilos de poissons tout frais. Nous les emballons dans une serviette mouillée pour la route. Je lui demande ce qu'on va faire avec le truc que j'ai ramené de mon voyage en France, et il me répond sagement " attendre".
         Nous nous mettons en route chacun de notre côté avec notre pêche... Il faut que je passe chez Pepe pour les mettre dans son réfrigérateur ; quant à Georges il va les vendre car jusqu'à nouvel ordre c'est son moyen de subsistance. Là il s'est fait une belle journée question pesetas...
         Avant de rentrer chez moi je m'arrête devant la Fonda Pepe, gare ma Bultaco et vais demander à Pepe s'il peut mettre mon poisson au frais. Il les regarde et me félicite :
         « Bravo Pedro, belle pêche ! Si tu veux, tu en gardes deux pour toi et je vends le reste dans mon restaurant. Ensuite je te décompterai ce que tu bois au bar ».
         « OK, on fait comme ça, pas de problèmes, mais tu sais ce n'est pas tous les jours que je ramène un pareil butin, malheureusement pour moi et  heureusement pour les poissons ».
          Sur ce, je m'en vais à moto et je rentre chez moi. A mon grand étonnement deux individus en costume cravate m’attendent dans leur voiture. Je leur dis "Buenas Dias, Senores, que quieren ?"[1]
         « Il y a un Monsieur à l'intérieur de la voiture qui prétend que vous êtes en possession d'un kilo d'héroïne que vous vous apprêtez à revendre. »
          Je leur demande :
         « Et qui est ce Monsieur ? »  
          Et ils désignent Gérald, dûment menotté.
          Là je me marre, il n'a vraiment pas perdu de temps, l'enculé, pour parler poli, mais, pas de bol pour lui, moi je rentre de la pêche sous-marine et ça se voit ;  en plus ça fait belle lurette qu'il n'y a plus rien chez moi.
         Je leur réponds :
          « En effet, je connais cet individu pour l'avoir hébergé un soir, mais voyant à quel point il était "mal educado" je l'ai prié de quitter ma maison le lendemain matin et j'ai dû vraiment insister, car il ne voulait rien savoir, le bougre. Quant à son histoire d'héroïne, je ne sais même pas ce que c'est mais si vous voulez fouiller ma maison, je vous y autorise ».
         Les deux hommes commencent à fouiller ma demeure. Un peu gênés, ils soulèvent les matelas, ouvrent les coussins et ensuite passent  la cuisine au peigne fin, où, bien sûr, ils ne trouvent rien. Fin de la perquisition.
         Les deux hidalgos sont désolés d’avoir importuné le brave résident étranger, pêcheur de surcroît et je leur dis :
         « Il a dû faire ça pour se venger du fait que je l'ai foutu dehors de ma maison ».
         Les deux policiers s'excusent tant qu'ils peuvent en m’expliquant que vu la gravité de l'accusation ils étaient obligés de vérifier et ajoutent que ça va lui coûter très cher, car en Espagne on ne plaisante pas avec les accusations mensongères. Sur ce, ils rentrent dans la voiture et collent une paire de baffes que je n'aurais vraiment pas aimé recevoir au Gérald puis s'en vont comme ils sont arrivés, sans faire de bruit.
         Je me dis que voilà une bonne chose de faite, ce salopard n'a vraiment pas perdu une minute, mais au moins c'est fait et bien fait. Sur ce je vais me coucher car entre la soirée à la Tortuga et la partie de pêche je n'ai même pas eu le temps de dormir une heure.
         Je me réveille vers huit heures du soir :
         « Je vais à la Tortuga annoncer la bonne nouvelle à Georges... ».
         Bonne, je ne sais pas avec le recul si elle l'était vraiment car elle fit de moi qui vivais bien tranquille entre ma pêche et ma musique, un des plus gros trafiquant d'héroïne d'Ibiza, ce qui n'était vraiment pas prévu au programme sinon je n'y serais jamais allé, mais enfin on n’est pas toujours maître de son destin.
         Bon, je ne vais pas me lancer dans une auto-analyse de ma vie, car ce n'est vraiment pas mon propos aujourd’hui. Je me rends à ladite Fonda où l'on me sert ainsi qu'à quelques amis de  délicieuses dorades au four arrosées d'un  Blanco Pescador  excellent. Tous félicitent Pepe pour la fraîcheur de ses dorades et il  me désigne :
          « C'est lui qu'il faut remercier, il me les a apportées ce matin, ce qui ne veut pas dire que c'est gratuit car il ne m'en a pas fait cadeau, l'animal ».
         Eh oui, les petits mensonges font parfois les grandes amitiés, enfin parfois ...
         Il y a une chose curieuse et je m'en aperçois maintenant, c'est que même en vous emmenant très loin à Kaboul en Afghanistan, à Grenoble ou Bergerac je finis toujours par revenir à Formentera où j'ai sans doute vécu la période de ma vie la plus heureuse et la plus épanouie ; bien sûr c'était avant que la dame blanche devienne ma compagne.



[1]  Bonjour,  Messieurs, que désirez-vous ?

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